L’évolution des observations microscopiques en pétrographie et en minéralogie est totalement dépendante de l’évolution de l’optique et de l’optique cristalline dont les découvertes majeures se font principalement au cours du XIXème siècle (von Philipsborn, 1955).
A ses débuts, la microscopie était principalement destinée à l’étude des mondes animal et végétal. Tout d’abord, l’intérêt des hommes était surtout orienté vers le vivant qui le touche plus directement, mais également en raison de la facilité relative de la confection des préparations microscopiques. Les premières observations microscopiques de minéraux, généralement des cristaux isolés ou en éclats remontent au début du XIXème siècle, bien que des études ponctuelles aient été réalisées depuis le XVIIème siècle. (1)

fig1.

Les observations microscopiques de minéraux, et donc de roches, ne pouvaient être réalisées avec succès que s’il était possible de mettre à profit les propriétés optiques des cristaux, telle que la biréfringence par exemple.
Les découvertes fondatrices de l’optique cristalline ont été réalisées sur une longue période.
Ainsi, la découverte des principes de base de l’optique cristalline se fait sur une durée de près de deux siècles.
Au milieu du XIXème siècle, ces principes théoriques, encore utilisés aujourd’hui, et qui constituent les fondements des observations au microscope polarisant, sont disponibles. Mais ces aspects théoriques sont connus et utilisés par les physiciens et les chimistes.
Les géologues, quant à eux n’en percevront l’intérêt pour leurs travaux que plus tard,
après l’invention de la lame mince.

Chronologie des découvertes de base

1810
Etienne Louis MALUS découvre la propriété essentielle fondant le principe du futur microscope polarisant : les rayons dédoublés par le phénomène de biréfringence sont polarisés et vibrent dans des plans de polarisation perpendiculaires. Il met également en évidence les phénomènes d’interférences qui existent entre les rayons ordinaire et extraordinaire lorsqu’on les fait vibrer dans le même plan de polarisation. Il s’agit là de la découverte du rôle de l’analyseur du microscope polarisant moderne.
1814
Jean-Baptiste BIOT met en évidence les deux types de biréfringences que Fresnel qualifiera plus tard de « positive » et de « négative » (en relation avec l’ellipsoïde des indices de réfraction).
1815
Augustin Jean FRESNEL établit les lois expliquant la relation qui existe entre la valeur de la biréfringence et les teintes d’interférences. C’est donc à ce moment que la notion de retard optique est perçue.
1818
Sans les travaux de David BREXSTER, il n’eut pas été possible de réaliser les observations au microscope polarisant (Brewster, 1818). En effet, c’est lui qui a déterminé les relations qui existent entre les propriétés optiques et la géométrie des réseaux cristallins ; il montre en particulier que les cristaux cubiques sont optiquement isotropes. Il détermine également la notion d’extinction et découvre le phénomène de pléochroïsme.
1828
William NICOL, à l’aide de cristaux de spath d’Islande (grands cristaux de calcite pure), invente le polariseur, un dispositif qui sera utilisé jusqu’à l’introduction récente des polariseurs organiques de type « Polaroid ». Dans les ouvrages de pétrographie on utilise encore parfois l’expression « entre nicols croisés » pour désigner les observations microscopiques réalisées en lumière polarisée et analysée.
1834
Henry Fox TALBOT, construit le premier microscope polarisant (Talbot, 1834)
1857
Alfred DES CLOIZEAUX entreprend une étude systématique des minéraux à l’aide du microscope polarisant et établit des compilations de mesures optiques et les premières tables de détermination qui seront utilisées par la suite par les pétrographes (Des Cloizeaux, 1857).

Les progrès de 1863 à 1893

C’est au cours de cette période que sont publiées les premières synthèses qui permettent dès lors à de nombreux chercheurs d’utiliser le microscope polarisant pour les études minéralogiques et pétrographiques qui deviennent alors routinières dans les travaux géologiques.
Les études minéralogiques très détaillées permettent de préciser la nature des minéraux, voire leur composition chimique sur la base de leurs propriétés optiques (Des Cloizeaux, 1857, 1862 ; Zirkel, 1873 ; Rosenbuch, 1877).

Si au départ, l’aspect technique des déterminations minéralogiques est privilégié, c’est sur la base de ces travaux que naît alors la pétrographie ou science des roches.
En France, Ferdinand André FOUQUE, Auguste MICHEL-LEVY et Alfred LACROIX en sont les fondateurs (Fouqué et Michel-Lévy, 1879 ; Michel-Lévy et Lacroix, 1888).
C’est d’ailleurs dans l’ouvrage de Fouqué et Michel-Lévy (1879) qu’est publiée pour la première fois, l’échelle des teintes de biréfringence (appelée souvent de manière erronée « échelle des teintes de Newton ») encore utilisée aujourd’hui pour la détermination des minéraux au microscope polarisant.

À la suite de cette période importante, le microscope polarisant et les techniques de mesures optiques ont été améliorés (observations en lumière convergente, compensateur de Berek).
Dès lors, les géologues, pétrographes et minéralogistes disposent d’un outil performant qui est aujourd’hui associées aux analyses géochimiques (fluorescence des rayons X et microsonde électronique).
La longue maturation des techniques optiques en microscopie électronique a permis l’élaboration d’une véritable démarche scientifique dont l’apprentissage est encore aujourd’hui une base incontournable de la formation des étudiants en Sciences de la Terre.

La première Lame Mince

fig2. Fossile de bois observé par H.Witham

Illustration de la première lame mince réalisée par William NICOL en 1831 et publiée par Henry WITHAM la même année. Il s’agit d’une lame taillée dans un bois fossile silicifié.

Au cours de la même période (entre 1852 et 1856), A. Oschatz prépare également des lames minces avec lesquelles il étudie la structure minéralogique des marbres. La méthode de préparation des lames minces fut ensuite améliorée par Henry Clifton SORBY à l’aide de Ferdinand ZIRKEL (1853).

Les premières observations pétrographiques

Les pétrographes et géologues n’ont cependant pas attendu l’invention de la lame mince pour réaliser des observations microscopiques.
Vers 1800, les minéralogistes étudiaient les minéraux à l’état brut ou sous forme d’éclats. Pour l’étude des roches, on les broyait finement de sorte que les fragments de petite taille étaient observables par transparence sans autre préparation préalable. Cette technique s’appelait alors l’analyse mécanique.

Les premières lames minces ont été réalisées par W. Nicol en 1831. Elles furent taillées dans un échantillon de bois fossile fourni par H. Witham (fig.2). W. Nicol, Professeur de Physique à Edimbourg (Ecosse) est donc l’inventeur de la lame mince. La technique fut améliorée par Henry Clifton Sorby, et il fut dès lors possible de tailler des lames minces dans des roches et d’entreprendre leur étude détaillée en appliquant les méthodes nouvellement développées en optique cristalline

fig 3.

De 1863 à 1893 sont publiées les premières synthèses qui permettent dès lors à de nombreux chercheurs d’utiliser le microscope polarisant pour les études minéralogiques et pétrographiques qui deviennent alors routinières dans les travaux géologiques. Les études minéralogiques très détaillées permettent de préciser la nature des minéraux, voire leur composition chimique sur la base de leurs propriétés optiques (Des Cloizeaux, 1857, 1862 ; Zirkel, 1873 ; Rosenbuch, 1877). Si au départ, l’aspect technique des déterminations minéralogiques est privilégié, c’est sur la base de ces travaux que naît alors la pétrographie ou science des roches.

En France, f. Fouqué, a. Michel-Levy et a. Lacroix en sont les fondateurs (Fouqué et Michel-Lévy, 1879 ; Michel-Lévy et Lacroix, 1888). C’est d’ailleurs dans l’ouvrage de Fouqué et Michel-Lévy (1879) qu’est publiée pour la première fois l’échelle des teintes de biréfringence (appelée souvent de manière erronée « échelle des teintes de Newton ») encore utilisée aujourd’hui pour la détermination des minéraux au microscope polarisant

fig 4.

A la suite de cette période importante, le microscope polarisant et les techniques de mesures optiques ont été améliorés (observations en lumière convergente, compensateur de Berek).

Références

-Mémoire sur les propriétés physiques que les molécules lumineuses acquièrent en traversant les cristaux doués de la double réfraction.
-Mémoire Académie de France, 1817, 31. Brewster, D. (1818).
-On the laws of polarization and double refraction in regularly crystallized bodies.
-Philosophical Transactions, London. Brewster, D. (1823).
-On the existence of two new fluides in the cavities of minerals, which are immiscible and possess remarkable physical properties. Phil. Mag. Journ. Sc. London, Edimburgh, 9, 94.
-Les minéraux des roches. Paris. Nicol, W. (1828).
-Experiments on light. 1. Microscopic appearences with polarized light. Philosophical Magazine, (3), 5, 321. Witham, H. (1831).
-Sur l’application du microscope à l’étude de la géologie physique. Bulletin de la Société Géologique de France, 17, 571. Talbot, H.F. (1834).
Des Cloizeaux, A. (1857).
-Die historische Entwicklung der mikroskopischen Methoden in der Mineralogie und deren Bedeutung für allgemeine Mikroskopie und für Technik. In : Freund, H. (éd.), Handbuch der Mikroskopie in der Technik, Umschau Verlag, Frankfurt a. M., 1-50. Ein Hilfsbuch bei mikroskopischen Gesteinsstudien. Stuttgart. Sorby, H.C. (1860).
-Mémoire sur l’emploi des propriétés optiques biréfringentes pour la distinction et la classification des minéraux cristallisés.
-Annales des Mines, 11, 342, Paris. Des Cloizeaux, A. (1862).
-Observations on fossil vegetables, acc. by representation of their internal structure as seen through the microscope. -Edinburgh and London (présentation de la méthode de préparation in : Neues Jahrbuch für Mineralogie, 1833, 456. Zirkel, F. (1863).
-Mikroskopische Gesteinstudien. S.-B. Akad. Wien, 1, 47. Zirkel, F. (1873).
-Die mikroskopische Beschaffenheit der Mineralien und Gesteine. Leipzig. Rosenbuch, H. (1877)
-Mikroskopische Physiographie der petrographisch winchester Mineralien.
-Manuel de Minéralogie. Paris. Fouqué, F. et Michel-Lévy, A. (1879).
-Minéralogie micrographique.
-Roches éruptives françaises. Paris, 1 tome de texte, 2 tomes de tableaux. Michel-Lévy, A. et Lacroix, A. (1888).
-On a method of so far increasing the divergency of the two rays in calcareous-spar, that only one image may be seen at a time.
-The Edinburgh New Philosophical Journal, 6, 83. Philipsborn, H, v. (1955).